[ Noël en juin ]

Je vois que mes doigts hésitent avant de taper sur les lettres de peur de poser des mots sur les choses qui s'échappent quand on les décrit. Je vois que j'ai encore la tête dans vos nuages et si je n'écris pas de veritable roman, sachez que j'ai déjà sous les yeux les plus beaux personnages.

Que-sais-je a du rester aggrippé à la branche d'une étoile, sa passion scintille dans ses yeux en prenant parfois des airs de démence et sa silhouette immense rappelle un enfant sauvage de la quarantaine. A votre gauche, Keeps roule un joint pour la douzième fois, à votre droite je capte un regard vif et rapide comme une étincelle, c'est les yeux de celui qui calme mon corps et fait pousser des flammes dans le bas de mon ventre, des idées dans ma caboche indécente. Je ne peux que sourire et plonger dans les yeux de ces morceaux de vie qui m'appartiennent tellement, je ne peux que me taire et ronger mes souvenirs comme un chien rongerait son os avec la fougue et la gourmandise propre aux animaux qui se laissent porter par le vent.

A votre gauche Soom danse le rock, Raymond farfouine dans un tas de vieilleries qui semblent l'émouvoir et quelques allumés se sont mis à genoux devant un Groupe Electrogène poussiereux. Tes amis sont bizarres, c'est comme ça que je les prefère. Vous prendrez bien un verre de personnages exceptionnels ? Attention, ils sont forts, ils montent vite, on devient ivre juste à les voir.

Le 24 juin nous avons fêté Noël en bonne et due forme, des paillettes sur les joues, des cadeaux ouverts à minuit et du faux champagne dans des vraies coupes. C'était juste pour se prouver qu'on peut tout faire exactement comme on voudrait le faire. La chaleur s'était faite plus lourde que jamais pendant que nous mangions la buche au chocolat du bout des doigts. On s'est simplement rendu compte qu'on avait rarement vécu d'aussi beau Noël que celui de juin et nous nous sommes endormis les uns sur les autres avec des cotillons dans les yeux et des petites étoiles collées par la sueur sur les peaux innocentes. Ma vie s'enveloppait du drap de vacances qu'on venait de lui jeter au visage et j'étais tout à coup presque convaincue qu'on pouvait vivre d'amour et d'eau fraiche, de bandes dessinées et de coca-cola.

J'avais pris un rythme qui ne me reconnaissait pas et sans rien attendre de personne j'ai laissé mes pieds marcher un peu sans moi. La chaleur s'est encore amplifié, toi et moi nous marchions tous les jours vers la bibliothèque municipale pour se remplir d'histoires et de soleil dans cette banlieue ringarde. Ce qui est encore plus agréable que les convictions, c'est le moment ou elles sont démenties par une belle journée. Y'a pas d'amour mais serre-moi fort. Puisqu'on se lasse de tout c'est maintenant ou jamais qu'il faut s'entrelaçer, tellement de choses auxquelles on peut se comparer, deux marmots qui se tiennent la main, deux bestioles qui se chamaillent à coup de griffe, tiens, il est 22h, reste félin pour moi. On en reparlera.

La chaleur a poussé plus loin encore sa densité et sa lourdeur, le ciel s'est teinté de mauve et d'orage et nous étions en train de nous dessiner sur les bras quand la pluie a fait son entrée, faisant bondir Keeps hors de la chambre pour nous la ramener trempée. Je me souviens avoir entendu le ciel me gronder lorsque j'ai serré fort un morceau de ta hanche à travers ton T-shirt et j'ai refusé de fermer la fenêtre. Voilà donc la vie de maintenant et celle de demain viendra quand on aura serré les dents. Les rumeurs courent sous le saule pleureur et plus rien ne m'atteint à présent que je sais qu'on peut faire disparaitre une chose en la nommant, je n'ai pas de conseils à donner et c'est avec lenteur que j'avale les votres. Je fais des erreurs par millions et ça fait autant de mal que de bien, je n'encre pas assez profond, dans la vie tout comme dans la peau. J'avance au pas avec les mains dans les poches et c'est vrai que mes épaules sont carrées, c'est bien dommage de ne pas te plaire comme je l'aurais voulu mais tu vois c'est tellement bête que j'en soupire dans un sourire et je regarde les courbes qui plaisent par habitude depuis la nuit des temps, je sens bien que ma place est ailleurs qu'au beau milieu des rangs. Si j'avais été Eve j'aurais croqué Adam et bouffé le serpent.