[ C'est pour la vie. ]

Les Elles présentent Joseph : La robe rouge.

Grands carreaux, cigarette et rock'n'roll. Je commence sincerement à me demander à quoi ça va me servir de savoir que Numa Pompilius a créé des collèges à Rome avant même que Jésus-Christ ramène sa gueule dans l'Histoire. Mais ça finalement ça n'est plus qu'un détail infiniement petit dans l'étendue de cette vie brulante et bulleuse qu'est la mienne. Sans déconner.

1720 c'est la date de parution du gros dictionnaire que Marcel ouvre devant moi. Mes doigts et les siens glissent au fil des mots sur le papier jauni et perçé par les balles, les définitions nous font rire et je me demande encore une fois comment j'ai pu arriver là. Mes divaguations puériles font sourire le bonhomme lorsqu'il répond enfin : "La première phrase que j'ai écrite ne s'est jamais terminé, aujourd'hui encore c'est sa suite que j'invente. La fin est un mensonge, rien n'est jamais fini avec les mots. Tu as vu cette définition? Le caméléopard semble être une bien étrange bestiole." Et nous rions ensemble. Et le café qu'il sert n'est pas du café de tafiole je peux vous l'assurer, ça vous tord les boyaux dans un délice bien sombre et bien sucré. Raconte moi une histoire, j'arreterai peut-être de te vouvoyer.

Chateau-Rouge est un quartier de Paris qui ressemble à Dakar dans son éparpillement et ses poubelles renversées. Sur le chemin du théatre on entend des dialectes venus de loins, je suis presque certaine d'avoir reconnu le Peul et le Wolof dans les ruelles ensoleillées. Et puis la plus belle fille de l'univers a ouvert sa gorge sur la petite scène, elle a chanté, gueulé, chanté, gueulé encore et j'avais mal aux yeux à force de la boire. Les Elles présentent Joseph et j'ai la bouche entrouverte quand elle fait danser la courbe de ses jambes, quand son cul fait la moue, quand elle pleure dans sa barbe et quand elle gueule comme démente avec les mains dans ses cheveux. Certaines personne ont trouvé le pouvoir d'arreter le temps et c'est un délice que de savoir qu'elles chantent encore à l'heure qu'il est. Oh mais putain ce que t'es belle Joseph, ce que t'es belle.

Maïtre Corbeau marche à grands pas et j'ai l'impression de devoir courir pour le suivre dans les dédales de dame Capitale. Ca ne te dérange pas de marcher? Non bien sur, je vais juste crever sur place mais je vous suis, Monsieur. C'est un type qui parle beaucoup, je crois qu'il aime parler, je crois qu'il adore ça. Moi je prends note de ses phrases, j'en garde certaines et j'en jette d'autres. Monsieur me dit l'air de rien qu'il n'y a pas de bonne ni de mauvaise energie, simplement des energies neutres qu'on canalise vers un côté ou l'autre. Je ne sais pas pourquoi, j'ai l'impression que cette idée va m'être utile. Qu'on accelère? Oui bien sur, c'est pas comme si j'avais les poumons en miettes et les pieds décédés, je vous suis je vous dis. D'aprés lui, il n'y a rien de plus arrogant et de plus imbécile que de prétendre n'avoir besoin de personne. Je me demande un instant ou je serais sans lui, sans le Peuple, sans mes histoires d'amour ratées, sans l'existence omniprésente d'un Autre quelqu'il soit. Et je dis oui, c'est vrai. C'est ma ponctuation la plus régulière : Oui, c'est vrai. Ou encore "Vous n'avez pas tort", ou bien "Merde, vous venez encore d'énnoncer une vérité absolue" ou bien plus vulgairement : "Vous m'emmerdez Monsieur". Il m'arrive de bailler pour rester loin de cette fasnication que certaines petites putes éprouvent pour Maître Corbeau. J'ai envie de vous dire, nous ne sommes que des humains et personne n'est plus grand qu'un autre, alors cessons maintenant de nous confondre en extase imbécile et si la grandeur vous attire, contentez vous de l'atteindre. Vous bavez trop pour pas grand chose, et la gloire imbécile existe grace aux fascinés immobiles. Votre maison de vacances au soleil? Non merci, en verité j'ai bien d'autres projets, moins confortables et plus excitants. Celà dit c'est sympa. Que j'arrête d'utiliser ce mot déguelasse et populaire? Ouais, ça serait sympa. J'y penserais. Est-ce qu'on peut s'assoir un peu au bord de la scène Monsieur? A moins que je crache mes poumons sur vos drôles de chaussures. Merci.

Devant la gare Saint Lazare il y a un type vraiment énorme qui est assis par terre avec une petite coupelle à ses pieds qui attend qu'on la remplisse de pièces plus ou moins jaunes. Sa peau ressemble au sucre roux alors nous l'appelerons Cassonade. Il est assis à côté d'un tas de cartons et de mousse humide qui semble en fait être sa maison à lui. Ses posséssions se comptent sur les doigts d'un manchot, sans exagerer : Une guitare désaccordée, un matelas de mousse qui sent le périmé, des morceaux de cartons, une couverture et un petit porte-monnaie rose pale décoré par une petite fleur. Une dizaine de pièce jaunes et un sourire indémontable.

Je cherchais un endroit ou m'assoir pour terminer de lire les prouesses de Neil Gaiman et les gens marchaient à tout allure vers des destinations sans doute dérisoires. Des centaines de talons martelant les pavés comme autant de caniches japant sur un grillage, des centaines de regards qui passent au dessus de Monsieur Cassonade en levant le menton bien haut, des centaines de trains à ne surtout pas rater, des centaines de costumes et cravate qui lèchent les vitrines, des centaines d'amoureux de la consommation, des centaines de "Je possède donc je suis" et puis j'en fais partie. Cassonade sort un morceau de mousse puante de sous son gros derrière et m'invite à m'assoir à ses côtés. Je raconte cette histoire sans en tirer de veritable conclusion, mais Cassonade parle Roumain et je comprends mal ce qu'il dit. Ca ne l'empêche pas de m'offrire un café, une cigarette, deux, et de vider pour moi le ventre du petit porte-monnaie rose pâle. Le truc vraiment étrange c'est que Cassonade ne râle pas, et malgré toutes mes invitations à la désolation de sa vie, il ne se plaint pas une seule fois. Son sourire reste encré dans le gros tas de graisse et de caramel qui lui sert de corps et d'abris. Je lui dis Joue moi donc une petite chanson, il s'execute en souriant et je trouve qu'il ressemble à un trés gros chat. En fait il ressemble au Marquis de Carabas dans Neverwhere, mais je suis trés influençable quand il s'agit de comparer. Peu importe, l'idée en fait c'est que ce type qui n'a rien à donner va donc donner tout ce qu'il a. L'idée c'est qu'un être humain comblé devient rapidement quelqu'un de stupide, d'arrogant ou d'égoïste, alors qu'un misérable clochard peut se reveler être un veritable modèle d'humanité. Je me surprend à penser que je voudrais devenir ça. Ce que je veux être plus tard, c'est quelqu'un comme ça. Bien sur cette idée est completement folle, on ne peut déçamment pas rêver de vivre ainsi, mais j'aimerais que mon âme ressemble à celle de Cassonade. Et je sais que pour ça je devrais me tenir éloigné de toute richesse facultative, m'éloigner du confort, de la sécurité, et sans doute m'éloigner du bonheur lui-même. C'est la pensée la plus effrayante et la plus chaude que j'ai eu depuis bien longtemps. En vérité je ne sais absolument pas ce que celà veux dire, et je n'ai aucun droit de comprendre quelque chose d'aussi grand alors je vais arrêter de chercher à mettre des mots sur cette sensation. J'ai simplement envie de remercier comme il se doit cette salope de vie qui se fend la gueule sur nos destins tragiques, simplement envie de remercier la mort qui viendra mettre fin à la vanité pulpeuse de nos grands combats d'écorchés. Merci, merci, infiniement. C'est la chose la plus belle et la plus chaotique qu'on puisse imaginer. La vie. Infiniement.

Comments

[Plum]

Un paille d'or. Un palmier. Un friand. Une chouquette. Une coqueline. Une barquette à l'abricot. Un petit beurre (sans racisme aucun). Un phare breton. UN CAKE AUX FRUITS. Un kouglof. Un boudoir (sans philosophie aucune). Une rousquille. Une fougasse. C'est vrai, ça aurait pu être pire.

[Raymond]

Mais non!
Mais c'est vrai que tu finiras tuée par une madeleine. Ca aurait pu être pire, ça aurait pu être terrible, ça aurait pu être un figolu.

[Plum]

Raymond : Oui c'est ainsi, evidemment c'est ainsi. Il faudrait refaire le monde avec de la pate à modeler, voilà ce qu'il faudrait. Oh Raymond, moi aussi je suis dans un monde fictif et sucré, alors dis moi, je vais devenir quoi?
Ouais, j'imagine déjà ta réponse : "Toi fillette, tu finiras étouffée par une madeleine."


Ivi : C'était juste magnifique, ça piquait les yeux et le coeur je le jure. "J'suis pas dans mon assiete, c'est déjà ça d'gagné."

[Ivi]

Ohoh ça dépend des villes, à Rennes ils ont soif tout court... Enfin faut connaitre :D
Alors ce slow du père lachaise? J'ai rêvé de le voir en live mais ça a pas pu se faire encore...
A la prochaine!

[Raymond]

C'est ainsi, tout ce qu'il reste d'humain dans les grandes villes se trouve assis sur les trottoirs. Je me suis plusieurs fois fait la réflexion que les clodos étaient les seules personnes du pavé à lancer des sourires. Ils ont soif d'affection et moi aussi, alors j'aime les clodos. D'autres ont trop les oreilles farcies d'empétrouahs et le gosier fourré de saucisses bioniques, ils se sont fermés à la récompense sincère d'un rire ou d'un sourire en même temps qu'ils ont décidé de vivre dans le monde fictif et sucré du Mickey Mouse Club.